1 Jour - 1 Poilu

9000 minutes de silence - une interview de Bruno Fruleux, vainqueur du défi 11 jours pour le 11 novembre

Bruno Fruleux, du Pas-de-Calais, a déjà transcrit 9000 fiches sur Mémoire des Hommes, dont 419 dans le cadre du défi 11 jours pour le 11 novembre (voir le bilan du défi ici). Il nous livre ici un témoignage personnel fort sur le sens et la portée de l'acte d'indexation.


Bonjour Bruno. Toutes nos félicitations et nos remerciements pour ta très belle contribution dans le cadre du défi #11J11P ! Peux-tu te présenter pour les internautes ?

J'ai 54 ans, informaticien, j'aime l'histoire et tout ce qui est ancien en général.

Une certaine curiosité naturelle m'incite à aborder tout ce qui est nouveau, j'aime découvrir, apprendre, tout ce qui permet d'échapper à la routine.

Mon intérêt pour la grande guerre est assez récent, les commémorations du centenaire et le fait d'habiter sur le champ de bataille de l'Artois (à deux pas de Notre-Dame de Lorette) y sont sans doute pour quelque chose.

Avant l'indexation, j'ai fait un peu de généalogie (déjà le besoin de retrouver les anciens, une façon de leur rendre hommage), ce qui m'a permis de me familiariser avec les archives sur internet, ça a été utile pour la suite.


Quelles ont été tes motivations pour participer à ce défi ?

En fait, j'ai adopté le principe du défi progressivement.

J'avoue que je n'ai pas participé au défi du Tour de France (à vrai dire, je n'avais pas trop compris le principe de la carte collaborative).

J'ai participé au défi du 25 septembre (l'offensive s'était déroulée pour partie en Artois, donc c'est une date importante pour moi), et il m'a semblé naturel de participer aussi au défi du 11 novembre.

Pourquoi je participe ? Parce c'est un défi, justement ! On se fixe un objectif et on essaie de le tenir, voire de le dépasser. C'est le côté sportif qui m'a plu, avec en prime un suspense savamment orchestré : où se situe mon département ? Pourquoi le Finistère obtient-il un tel score ?

La date hautement symbolique du 11 novembre, à la fois anniversaire de l'Armistice et date butoir de l'opération (3 ans pour finir le travail) n'y est pas étrangère non plus. L'engouement général en est la preuve.

A ce sujet, je dois reconnaître qu'il y a peu de temps encore, je ne croyais pas l'objectif accessible.

La mobilisation exceptionnelle autour de ce défi montre que c'est désormais possible, et qu'on y arrivera.


Comment s'est déroulée ta participation ?


J'étais très motivé et j'ai démarré en flèche (70 fiches le premier jour) ! Ensuite j'ai continué à mon rythme habituel.

Cependant les derniers jours, j'ai un peu faibli. 11 jours c'est long !

En fait le défi était double : qui sera le premier contributeur ? Quel département sera en tête ?

Les rares infos diffusées parcimonieusement ne permettaient pas de me situer par rapport aux autres participants, mais au moins j'avais l'impression que mon cher 62 [département du Pas-de-Clais, NDLR] n'était pas mal placé (grâce aussi à quelques contributeurs qui m'ont aidé), bien loin cependant derrière le Finistère, grand vainqueur !


Quels soldats a-tu choisi d'indexer et pourquoi ?

Mes critères d'indexation varient beaucoup (je n'aime pas la routine !) : comme beaucoup j'ai indexé mes villages préférés (le Livre d'Or a été une aide précieuse), puis j'ai indexé les soldats tombés dans le secteur de Lorette, et récemment j'ai commencé à indexer les régiments du Nord-Pas de Calais.

En parallèle, je mène aussi - quasiment depuis le début -, l'indexation des soldats originaires du Pas de Calais, particulièrement ceux recrutés au bureau de Béthune (ma ville natale).

Dans le cadre du défi, c'est cette dernière liste que j'ai continuée. Actuellement je termine la lettre D, il y a encore de quoi s'occuper !

 


Comment es-tu venu à l'indexation collaborative sur Mémoire des Hommes ?

Dans ma vie, la plupart des bonnes choses sont arrivées par hasard, et l'indexation n'y fait pas exception.

Mes débuts datent de novembre 2014. En fait je ne me souviens plus bien comment je suis tombé dedans. A l'époque je faisais un peu de généalogie, je cherchais les fiches matricules de mes aïeux et à cette occasion j'ai dû arriver sur un forum ou un site où on parlait de cette opération. Je connaissais déjà le site Mémoire des Hommes pour l'avoir fréquenté il y a quelques années, mais je n'étais pas du tout au courant de cette évolution majeure.

Par curiosité je me suis inscrit, et j'ai fait mes premières armes. Au début ce n'est pas toujours facile, alors j'ai appliqué ma méthode habituelle : je regarde ce que font les autres, ceux qui savent. J'ai beaucoup exploré les fiches déjà indexées, surtout pour voir à quelles communes étaient rattachés les lieux-dits (sans doute la partie la plus délicate d'une fiche). En vérifiant si nécessaire d'après des sources fiables (par exemple j'utilise énormément géoportail).

Et puis j'ai découvert (toujours par hasard) 1J1P sur Twitter, et j'ai maintenant le plaisir et l'honneur de faire
partie de la task force.


Si tu devais inviter d'autres personnes à participer au programme d'indexation, que leur dirais-tu ?


Indexer, cest :

- partir à la recherche de ses ancêtres, des anciens habitants de sa commune

- offrir un peu de son temps pour rendre hommage à nos poilus

- participer à l'élaboration d'une gigantesque banque de données dont tout le monde, de l'historien au particulier, pourra bénéficier

- une façon d'appréhender l'aspect humain du conflit et de prendre conscience de son impact dans le temps et dans l'espace

- un moyen ludique d'apprendre ou de réviser la géographie

- avoir une activité plus culturelle que certains programmes télé

- mener une enquête (repérer les erreurs ou sentir quelque chose qui cloche dans la fiche, essayer de décrypter un nom de commune difficilement lisible, rechercher pourquoi il y a eu tant de morts tel jour à tel endroit)



Quel est pour toi le sens de cette démarche ?

Comme pour beaucoup d'internautes, d'abord un travail de mémoire. On ne peut oublier que tant de gens - des civils, au départ - ont beaucoup enduré, beaucoup souffert ; il est juste et nécessaire de rendre hommage à tous ceux qui n'en sont pas revenus. Ainsi, indexer une fiche, c'est sortir de l'oubli un fils, un mari, un frère, un être humain.

C'est aussi l'occasion d'aborder la Grande Guerre autrement : ici, comme dans les récits de combattants, on la vit de près, chaque poilu qu'on rencontre, on le suit, on l'accompagne, on peut découvrir son métier, son village, ses proches, sa vie sur le front.

La guerre, ce n'est pas qu'une stratégie et du matériel, c'est d'abord une dramatique histoire humaine.

Idéalement, à chaque fiche indexée, on devrait observer une minute de silence à la mémoire du soldat.

Il y a enfin un motif personnel : mon grand-père, ses deux frères et son beau-frère ont fait la guerre et tous en
sont revenus vivants (sinon je ne serais pas là) et à peu près intacts. Je mesure maintenant la chance qu'ils ont eue et c'est aussi à leur mémoire que je dédie mon travail.

En résumé, indexer, ce n'est pas que remplir des champs, c'est aussi un moment de recueillement.

Après quasiment un an d'indexation (plus de 9000 fiches !), je suis parfois atterré par l'immensité de ce gâchis humain.

Malgré les heures passées sans compter, j'ai l'impression de ne pas en voir le bout, les morts s'ajoutent, s'alignent, s'empilent... parfois jusqu'à la nausée.

Et puis je me reprends, et je continue : indexer une fiche, c'est dénoncer la violence et la barbarie, c'est dire aux générations futures qu'eux non plus ne devront pas oublier.






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